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Vers une obligation de digitalisation des factures et la révolution de l’ère comptable. (16/05/2022 - Par Jérôme Tilkin)

Beaucoup s’en doutaient depuis déjà longtemps. L’obligation de devoir centraliser ses factures directement dans un système de l’état de manière électronique pour les transactions B2B n’est plus si lointaine.

La France, précurseur en la matière, vient de se prononcer très clairement et tout indique que les autres pays d’Europe vont suivre :

  • Au 1er juillet 2024, toutes les entreprises devront pouvoir recevoir des factures électroniques.

  • Au 1er juillet 2024, toutes les grandes entreprises*** devront adopter ce système.

  • Au 1er janvier 2025, toutes les entreprises de taille intermédiaire** y seront également contraintes.

  • Et enfin, ça sera le tour des TPE-PME*, le 1er janvier 2026.

(*) Conditions à remplir pour être une PME : avoir moins de 250 salariés et dégager un chiffre d’affaires annuel inférieur à 50 M€ ou présenter un total de bilan n’excédant pas 43 M€. Pour le TPE : avoir moins de 10 salariés et dégager un chiffre d’affaires annuel de 2M€.

(**) Conditions à remplir pour être une entreprise de taille intermédiaire : occuper moins de 5 000 personnes et avoir un chiffre d’affaires annuel inférieur à 1500 M€ ou un total de bilan n’excédant pas 2000M€.

(***) Au-delà, il s’agit d’une grande entreprise.

De quoi s’agit-il ?

Il est en fait question d’obliger les entreprises à déposer systématiquement leurs factures d’achat et factures de vente sous un format électronique (par exemple en pdf) dans un système informatique. Soit sur une plateforme partenaire ou via le portail public de facturation (Chorus Pro). Sans connaître encore les fonctionnalités exactes de ces systèmes, on imagine très bien la finalité de cette nouvelle obligation pour les autorités fiscales. Tout d’abord, c’est une mesure définitive pour empêcher les manipulations des factures à postériori. Il s’agit donc d’une mesure active dans la lutte anti-fraude. Mais cela ouvre également d’autres perspectives. En effet, on peut imaginer qu’à l’instar de ce que proposent déjà les systèmes de comptabilité digitalisés, il leur sera tout à fait possible, à l’aide d’une fonction OCR (reconnaissance de texte), d’extraire automatiquement les informations et valeurs contenues dans les documents :

  • Les montants facturés HTVA ainsi que les montants facturés par taux de TVA. Cela permettra donc d’imputer directement une forme automatisée de comptes de produits (Classe 7) du côté du fournisseur. Et à partir de là : les déclarations de TVA, DEB, etc. pourront être établies automatiquement et seront surtout recoupables !

  • Le numéro de TVA du fournisseur. Cela permettra donc, via son code APE, d’imputer directement une forme automatisée de comptes de charges d’exploitation (Classe 6) du côté du client.

  • Etc.

Il est donc quasiment certain que l’on se dirige vers une centralisation et une automatisation digitale systématique du traitement des pièces comptables (factures de vente et facture d’achat) avec la capacité pour les autorités fiscales d’établir et de contrôler en temps réel l’intégralité des informations qu’elles recevaient jusqu’ici uniquement au moment de la réception du bilan comptable et autres déclarations. On peut même supposer que les autorités seront en mesure de produire elles-mêmes le bilan des entreprises.

A quoi va-t-il encore servir de tenir une comptabilité ?

Actuellement, publier sa comptabilité est toujours une obligation pour toute société. Mais si les hypothèses précitées s’avèrent correctes, il ne sera très vite plus question de tenir une comptabilité mais bien d’avoir une rigueur administrative permettant l’archivage des factures.

Comment doivent se préparer les entreprises ?

Tout d’abord, parmi les nombreuses PME avec lesquelles nous travaillons, il faut savoir que presque toutes sont démarchées pour l’acquisition d’un système informatique supposé résoudre leurs problèmes, ou finissent par en acquérir un. Chacun de ces systèmes est censé être meilleur que la concurrence et là n’est pas la question. Mais il s’agit d’outils qui, s’ils ne sont pas correctement alimentés, ne vont pas donner de résultat. Il est préférable de ne pas se jeter sur les systèmes de facturation et autres sans avoir préalablement bien réfléchi et pris ses dispositions pour maîtriser et organiser ses données et ses documents. C’est la raison même de notre méthodologie ©ASMCPQ:2022 avec notamment : A129 : ARCHIVAGE FACTURE, A511 BASE DE DONNEES ; A530 GESTION FLUX ADMINISTRATIF…. Concrètement nous avons établi la méthode à appliquer et conforme au paperless, au RGPD, aux normes ISO, etc. pour maîtriser l’ensemble des documents d’une entreprise permettant une intégration dans n’importe système.

Que va-t-il advenir des cabinets d’expertise comptable ?

Cette dynamique de digitalisation n’est pas vraiment nouvelle. En réalité, il existe déjà de nombreux éditeurs de systèmes comptables permettant le traitement digital et l’émission de plus en plus automatisée des bilans, déclarations, etc. Cela remet petit à petit en question l’utilité des simples prestations d’encodage, même s’il n’est pas rare de voir encore dans les nombreuses PME avec qui nous travaillons des « Irréductibles Gaulois » qui continuent d’appliquer un modus operandi ancestral : l’encodage manuel des pièces avec leur comptable. Il est évident que cette annonce de l’État français doit sonner comme un coup de semonce pour ce modèle économique « comptable », voire, même, le glas de ce dernier, dans la mesure où les honoraires d’encodage, d’établissement des bilans et autres déclarations représentent encore, pour bon nombre d’entre eux, la majorité de leur chiffre d’affaires. Bien sûr, on voit aussi (chez les moins irréductibles) de nombreux cabinets d’experts comptables qui, au-delà des missions réglementées et obligatoires telles que celles de commissaire au compte (CAC) ou commissaire à la transformation (CAT) exigeant toujours un expert-comptable agréé, ont anticipé ce changement majeur dans leur modèle économique avec la digitalisation et s’orientent de plus en plus vers du véritable « conseil » pour pallier cet énorme manque à gagner. Rien d’étonnant à ce que les cabinets d’expertise comptable se tournent vers nous pour acquérir notre méthodologie ©ASMCPQ:2022 et se former au métier de « conseil ».

Malheureusement, le constat est souvent mitigé. Pourquoi ?

Voici ce que nos expériences nous ont apprises. Tout d’abord il peut y avoir la problématique des égos et des certitudes d’une corporation qui n’a pas eu très souvent à se remettre en question et qui a parfois tendance à se considérer encore comme indispensable, incontournable, voire, même, obligatoire.

Ce lobby fait d’ailleurs croire à beaucoup de chefs d’entreprise qu’un expert-comptable est obligatoire… Ce qui n’est pas tout à fait exact. Sans entrer ici dans les détails, si une entreprise souhaite sous-traiter l’établissement et surtout le dépôt de ses comptes, elle doit en effet faire appel à un cabinet « Expert-Comptable » agréé. Cependant, si cette même entreprise demande une simple préparation administrative puis établit et dépose elle-même ses comptes, elle n’est pas obligée de faire appel à un cabinet d’expertise comptable. Un simple secrétariat administratif suffit !

SOURCE : Ordonnance 45-2138 du 19 septembre 1945, art. 22 modifié par la loi 2015-990 du 6 août dernier dite « Macron », art. 62) relative au décret n°2012-432 du 30 Mars 2012 relative à la profession règlementée d’expert-comptable.


Or, dans la vente de prestations administratives ou de « conseils », il y a, et c’est le moins que l’on puisse dire, une réelle concurrence commerciale. On est très loin du lobby et du confort de la quasi-exclusivité indispensable de l’expert-comptable actuel. Ça ne se fait plus sans mal! Il faut disposer d’une réelle proposition et force commerciale.

Cela remet totalement en question la M100 STRUCTURE FONCTIONNELLE de la plupart des cabinets d’expertise-comptable actuels qui sont généralement organisés avec un expert-comptable diplômé (associé) qui gère (son portefeuille clients) avec derrière lui des comptables et autres assistants… En résumé, une personne par qui tout doit passer (les offres, les contrats, les litiges, les véritables questions d’expertise…). Le syndrome même du goulot d’étranglement de la structure « en râteau » avec du « flying management » et généralement, une absence quasi totale de : S500 STRATEGIE COMMERCIALE, S700 STRATEGIE MANAGERIALE, M500 DELEGATIONS ET PLANS ACTIONS, M600 LEADERSHIP MANAGEMENT, pour ne citer que ces points-là. Difficile dans ces conditions d’espérer en plus s’imposer commercialement dans la vente de « conseil ».

Enfin, il y a une nette différence entre engager des collaborateurs pour réaliser des prestations d’encodage comptable puis rédiger un rapport annuel avec quelques préconisations et engager des collaborateurs capables d’intervenir dans une entreprise pour faire du « conseil » et mener le changement. Ce n’est pas du tout le même métier et les profils recherchés sont très différents ! Pas tellement d’un point de vue des connaissances (là n’est généralement pas le problème) mais bien des personnalités, ne fût-ce que, par exemple, en matière d’assertivité. Or, n’en déplaise à certains humanistes et autres coachs (généralement plus soucieux de vendre leurs prestations que d’exposer les réalités des limites du changement), apprendre à développer des traits de personnalité est quasiment impossible, notre personnalité étant définie entre 3 et 6 ans. Demander à un collaborateur de réaliser des tâches allant à l'opposé de sa personnalité est non seulement généralement voué à l’échec, mais constitue surtout, d’un véritable point de vue « humaniste », un risque énorme de le placer inutilement dans une situation très inconfortable et de le mettre sous pression. C’est un peu comme demander à un chien de chasser les souris et à un chat de garder la maison. Dès lors, sans une remise en question, entre autres, de la S600 STRATEGIE DE RECRUTEMENT et de la M210 SELECTION CANDIDATS, à laquelle nous conseillons d’ajouter un M211 TEST PERSONNALITE, cela ne va pas changer miraculeusement.

On constate donc que, parmi nos clients cabinets d’expertise-comptable, qu’il il ne peuvent pas se contenter d’acquérir de la connaissance en se formant ou en achetant une méthodologie, il faut également mener le changement sur l’organisation et le management de l’entreprise elle-même. Les cabinets expertise-comptable (et petit à petit, toutes les professions libérales) sont amenée à devoir remettre en question leurs habitudes, leur activité, leur marché…

Mais finalement, « s’adapter ou disparaitre », n’est-ce pas ce à quoi tous les dirigeants d’entreprises sont confrontés depuis longtemps ?